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  Première rencontre et affinités avec la neige

Ce samedi 22 novembre 2019, j’ai frôlé la mort.

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By CapExpe.org

Je reviens de loin et j'ai besoin de le partager. Parce que cette expérience c'est aussi un apprentissage. Parce que ce samedi 22 novembre 2019, j'ai frôlé la mort.

Pablo Recourt

23 novembre 2019

PROLOGUE

Avec Florian et Pierre, on est descendu dans les Alpes pour 4 jours. On avait prévu de tenter l'ascension du Clocher du Portalet (escalade en fissure) durant 2 jours et d'ensuite enchaîner avec 2 jours de ski. Au pied des montagnes et après avoir discuté avec les locaux, on se rend compte que l'escalade n'est pas envisageable. On se rabat donc sur un autre plan : deux amis, Dorsan et Antoine, nous rejoignent pour une journée raquette. Au programme, environ 7h de raquette en montagne afin d'arriver le soir même à l'hospice du Grand Saint-Bernard. Les condis ne sont pas trop mauvaises. Il y a même quelques rayons de soleil. C'est la première fois que je fais de la montagne en hivernal. Et c'est la première fois que je vois autant de neige. C'est beau. Cette immensité, cette blancheur.

On part de Dranse, un petit village dans la vallée (1200m).

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Assez vite, on enfile nos raquettes et on commence à monter. C'est cardio, ça tient chaud et on est habillés léger (en t-shirt et polaire). On passe d’un paysage à l’autre. Je suis émerveillé. On se sent bien. Il ne fait pas trop froid et la lumière est magnifique. Je prends le temps de sortir l'appareil pour filmer et faire des photos. Cependant, au fur et à mesure qu'on prend de l'altitude, les conditions météorologiques se dégradent. Le vent commence à se lever mais ça reste dégagé. On ajoute des couches au fur et à mesure pour rester au chaud. Le paysage est époustouflant, c'est le bonheur. Après quelques heures de marches, on commence à avoir faim. Dorsan sait qu'il y a une cabane de berger à encore 1h de marche, et on se chauffe à pousser jusque-là pour se faire un bon pic-nic à l'abri du vent. Du gras ! Fromage, saucisson, pain, fruits secs, tout le plus calorique possible. Il faut de l'énergie pour combattre le froid. Et celui-ci commence à se faire sentir. Même à l’abri du vent, une fois à l’arrêt ton corps se refroidit en moins de 15 min. Les heures ont déjà bien défilé et il ne faut pas trainer pour ne pas se faire rattraper par la nuit.

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COL DU NÉVÉ DE LAROUSSE

Prochaine étape, premier col : Col du Névé de Larousse (2753m). On l'aperçoit au loin, il est dans le brouillard. On commence à monter. Avec toute cette neige, la plupart des marques du gr sont ensevelies et s'écarter du chemin arrive plus vite que prévu. Heureusement, Dorsan a déjà fait la course en été et sait plus ou moins se repérer. Le vent commence à vraiment forcir, et avec lui la neige qui fouette le visage. Avec des rafales à 80km/h, ça ajoute une toute autre dimension. Assez vite on arrive à la côte finale. C'est physiquement exigeant et les conditions sont rudes. Heureusement la visibilité est encore bonne. Antoine a du mal et il faut l'attendre régulièrement. Je me mets un petit taquet et crée la trace dans la neige fraîche. Il y a facilement 1m de neige et on s'enfonce de 30-40cm à chaque pas. C'est pénible et je m'enferme dans ma bulle en me concentrant sur le col. Pas après pas. Arrivé en haut je me retourne et remarque que les autres sont encore loin derrière. Je les aperçois dans le brouillard. Le vent et la neige tournoient violemment autour de moi. Dans un moment d'émerveillement, je sors mon appareil pour capturer l'arrivée du reste de l'équipe. La neige s'agglomère sur les moindres recoins de l'objectif et après quelques photos, je me rends compte que l'appareil est en train de geler et que ma main ne pourra bientôt plus tenir en dehors de son gant. Je le range au fond de mon sac en espérant qu'il survivra. J'attends impatiemment les autres. À peine arrivés, on décide précipitamment d'entamer la redescente. Le vent au col est tellement violent que si on s'arrête, le froid ne nous fera pas de cadeau. 200m plus bas on fait finalement une petite pause pour faire le point.

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C'est en mangeant une barre de céréale congelée que je réalise à quel point la température a chuté. Topo de la situation : il nous reste environ 1h de clarté et 2 cols à franchir. Le suivant est encore conséquent et je sens que Dorsan commence à être inquiet. Si on le passe avant la tombée de la nuit, alors on sera en sécurité. Il insiste pour qu'on ne traîne pas. Aveuglé par la neige et le vent qui a encore forci, on avance d'un bon pas dans la descente. Dorsan guide, il sait plus ou moins où se trouve le chemin. Malheureusement, la neige à le pouvoir d'altérer complètement le paysage et on descend trop bas. L'obscurité guette. On remonte à travers tout, dans un mélange de neige et de roche glacée. Le peu de lumière qui reste paraît étrangement rose. J’ai juste le temps de penser que c’est sans doute le soleil qui se couche loin au-dessus de la tempête. Parmi les flocons qui virevoltent violement autour de nous, on ne discerne déjà plus la découpe des crêtes dans le ciel. Il fait noir. Plus aucun point de repère. Désorientation totale. C'est le moment de sortir les frontales. Heureusement on est tous bien équipés. Ne sachant plus où aller, on se met à la recherche des marques du Gr. On n'avance plus. J'ai l'impression qu'on tourne en rond. Le désespoir m'envahit petit à petit et je commence à réfléchir à d'autres échappatoires. Redescendre à l'aveugle dans la vallée pour fuir la tempête en perdant de l'altitude ? On ne sait pas où on atterrirait. Faire demi-tour, repasser le 1er col et rentrer ? Ça demandera autant d'énergie que de continuer. Creuser un igloo dans la neige et s'y réfugier en attendant que la nuit passe ? Sans sac de couchage on risque l'hypothermie. Allé il ne faut pas se décourager, il est à peine 18h, on a de la nourriture pour tenir, une équipe avec un bon mental et tant qu'on est en mouvement, on peut combattre le froid.

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COL DE L'ARPALLE

Dorsan se sent responsable et court dans tous les sens à la recherche des marques gr. Il semble avoir trouvé une piste. Devant nous se dresse une immense pente raide et enneigée à perte de vue. Impossible de dire où cela mène car notre visibilité est réduite à environ 10m. Quoiqu'il arrive, il faut monter. On entame les lacets, dans une neige très profonde. En dessous c’est un pierrier, ça explique la pente vertigineuse. Utilisant les bâtons pour s'ancrer dans le sol, on progresse doucement. Il faut surtout faire attention aux violentes rafales de vent qui tendent à nous déséquilibrer. On est complètement aveugle dans cette immensité blanche. C'est alors que nous vient l'idée d'utiliser nos téléphones pour nous géolocaliser. Malheureusement par un froid pareil, les batteries sont mortes. Pierre utilise alors notre batterie externe pour recharger son gsm, tout en le gardant au chaud dans son slip. Victoire, il se rallume ! Pas de réseau. Heureusement (et vraiment heureusement), MapsMe fonctionne et nous indique notre position. Combinant cette donnée avec l'inclinaison du terrain et notre intuition, nous continuons à avancer dans l'obscurité. Cette montée me paraît interminable. Après chaque lacet, je lève la tête en espérant apercevoir le col. Obscurité tachetée de flocons. Je repars dans les traces de Dorsan. Progressivement, la pente s'adoucit et bientôt un replat apparaît. Pourtant, le panneau du col n'y est pas. On a aucune idée d'où on se trouve. En s'avançant vers le bord du plateau, on aperçoit une ombre en contrebas. Oui, Le panneau ! Cris de joie ! Le col se trouve juste en dessous. Une vague d'énergie positive nous submerge : on n’est pas perdu, on va y arriver. On va s'en sortir. On est au col de l'Arpalle (2654m), il est environ 20h. Les conditions météos continuent de se dégrader. De nouveau, on ne peut pas s'arrêter au vu de l'hypothermie.


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Normalement, le gros est passé. Il nous reste plus qu'un troisième col à franchir. On doit redescendre sur un lac et puis remonter. C'est parti ! L'espoir nous porte, malgré la fatigue qui commence à sérieusement se faire sentir. On descend rapidement vers le lac. À l'aveugle, on se perd de nouveau. On adapte la technique de MapsMe pour pouvoir se diriger. C'est à chaque fois une grosse demande d'énergie. Le GSM doit rester au chaud et à l'abri du vent. Pierre assure et regarde par l'intérieur de sa veste, nous criant les indications. La carte ne prend évidemment pas le dénivelé en compte, et on doit plusieurs fois faire demi-tour car on est face à un obstacle infranchissable. C'est à chaque fois un gros coup au moral. On tourne en rond à l'aveugle avant de finalement tomber sur le lac. Ouf, on est sur la bonne route. Mais on a plus l'énergie pour s'en réjouir. Il fait de plus en plus froid, on a de moins en moins de force. On fait mini pause pour manger du sucre, sans quoi nos corps seront incapables d'aller chercher plus loin pour passer ce col. Je sens une nouvelle vague d'énergie, ça me rassure et me rappelle que mon corps est encore en vie. Il faut qu'on continue à avancer.

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C’est très probablement l’esprit d’équipe qui nous a sauvé la vie. Malgré le combat interne de chacun, on continue à se soutenir l'un l'autre. C’est comme ça qu’on réussit à avancer. Lorsque certains fléchissent, ceux qui ont des hauts d'énergie assument et prennent les devants pour tirer l'équipe vers la sortie. Pour attaquer le troisième col, je suis exténué. Heureusement Flo est lucide et décide de mener la trace, avec Pierre qui le MapsMe-téléguide. Je me concentre juste sur mes pas, mettre un pied devant l'autre juste derrière ceux de Flo. Je me laisse mener, faisant entièrement confiance. Je n'ai pas d'autre choix. Mon mode survie est actionné et je dois juste tenir, malgré le peu d'énergie qui me reste. Des pensées me tiraillent. On peut faire une pause ? Non il fait trop froid. Je peux marcher plus lentement ? Non je risque de perdre Flo et c'est la pire chose à faire. La visibilité est réduite à 3m et il y a tellement de vent que les traces s'effacent en 2 min. Renoncer ? Impossible, si je m'arrête, je me fais rattraper par la mort en 10 min. Les conditions sont encore pires que tout à l'heure. Il fait ressenti -15 et le vent souffle constamment jusqu'à 80km/h. Pas le choix, il faut tenir. Tenir. On progresse sur le versant du col, je suis dans un état second. J'entends les distances indiquées par Pierre diminuer petit à petit. 300m. 250m. 150m. Le col se rapproche malgré tout. J'entends "Le panneau du col se trouve à 50m à droite, traverse à la même hauteur ! " Élan d'espoir, on y est presque. Plus qu'un tout petit effort. Je suis Flo de prêt, puisant dans le peu d'énergie qu’il me reste. Mes yeux sont mi-clos pour se protéger de la neige qui me lacère le visage. Tout est déjà si dur, mais on y est. Je me vois déjà sauvé.

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En une fraction de seconde, je réalise ce qu'il se passe. La plaque de neige sur laquelle nous nous trouvons se décroche. "Merde, qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait ?" Je me souviens crier. Je plante mon bâton de toute mes forces et me tient fermement. Un bref instant, j'ai l'impression que ça tient et que tout s'arrête. C'est alors que je me sens aspiré vers le bas, sans pouvoir rien faire. La neige me passe par-dessus et m'emporte vers les pénombres. Je panique. Ouvre la bouche pour inspirer une bouffée d'air, ce n'est que de la neige qui y rentre. Je l’avale. Je réinspire. De nouveau de la neige. Je vois des flashs lumineux. "Ça y est, je suis en train de mourir, c'est fini." Je sens qu'on continue à glisser. Mon cerveau tourne à mille à l'heure. Par réflexe de survie, je lève un bras. Je ne ressens pas la lourdeur de la neige comme sur le reste de mon corps. De toute mes forces je m'efforce de le garder en dehors. Le mouvement se calme, ça se stabilise. Encore en apnée, j'ai une pensée calme, d'acceptation. C'est bon, laisse-toi aller, tant pis. Avec cette pensée si facile, mon esprit se calme et je pense à inspirer par le nez. Il est dégagé. C'est fou comme cette bouffée d'oxygène m'éclaircit l'esprit. Ok je suis vivant. Mais pour combien de temps ? Je ne sais pas si je tombe dans les pommes un bref instant, mais tout me paraît si calme et confortable tout d'un coup. Des voix lointaines me ramènent à la réalité. Je prends conscience rationnellement de la situation. Une avalanche. Elle s'est stabilisée assez vite, ça n'a pas duré très longtemps, ouf. Ma main est en dehors, je ne suis pas entièrement enseveli et je peux respirer un peu. Ok je vais m'en sortir. Et les autres ? Les voix se rapprochent. Je ne les reconnais pas, ça doit être des sauveteurs. Il y a de la lumière, j'ai l'impression qu'il fait jour. Espoir, la tempête est finie. Je ne réaliserai que plus tard que cette dernière, tout comme les flashs lumineux lors de la chute étaient dû à ma frontale. On me dégage la tête. Grosse inspiration par la bouche, je réalise que j'étais en apnée.

Tout à coup la violence refait surface. Du calme et de la douceur de la neige qui m'enseveli, je suis replongé dans la dure réalité glacée. Le combat n'est pas fini. Il fait toujours nuit, la tempête est toujours présente et il faut continuer à se battre. Un bras me hisse le buste en dehors de la neige. Mes jambes sont juste là en dessous d'à peine 50cm de neige mais impossible de les bouger. C'est lourd. Dorsan creuse et j'arrive enfin à me dégager. Je reprends mes esprits. Tout le monde est là ? Tout le monde est safe? Mon corps est épuisé, l'apnée sans doute. Je reste quelques instants à quatre pattes avant de réaliser l'ampleur de la situation. Au loin je devine les 3 autres qui tentent de dégager Antoine. Mine de rien, on a eu de la chance. L'avalanche n'a pas dégringolé sur des centaines de mètres et tout le monde est là. Merci pour ça. J’ai perdu un de mes bâtons. "Je m'en bats les couilles" me dit Dorsan. Malgré ce choc émotionnel énorme, il faut se forcer à rapidement reprendre contrôle de son corps et se replonger dans le combat. Le froid ne pardonne pas.

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SURVIE

L'adrénaline nous boost et à peine tout le monde debout qu'on est réparti. Il est 23h30 et la nuit n’a jamais été si noire. Mes jambes tremblent. Le col est juste là, il faut juste traverser une pente de neige. J'ai peur. Hésitation. Dorsan fonce et je le suis sans trop trainer, en restant prudent. On arrive enfin au col de Fenêtre. Je n'ai jamais vu un vent si violent. 120km/h et je peine vraiment à tenir debout. J'ai l'impression que les flocons gelés qui frappent mon visage le découpent petit à petit. Titubant, je me tire jusqu'au panneau. Il est complètement recouvert de neige gelée. Je casse la glace avec mon poing pour pouvoir checker les indications. Je devine que les autres ne sont pas très loin de moi. Mais c’est peut-être qu’une impression. Le vent qui rugit nous empêche d’ouvrir les yeux correctement. "Si on reste ici on est mort" me crie Flo. Je fais quelques pas, effort surhumain. Je me retourne. À même pas quelques mètres du panneau, on ne l’aperçoit déjà plus. Tout le monde est complètement désorienté. Pierre est persuadé que le panneau est devant nous, alors qu’on vient de s’en éloigner. Quelle direction ? On s'en fou, il faut descendre. Juste descendre sinon on meurt. Aillant la seule frontale assez puissante, c’est moi qui mène le groupe. C’est moi qui dois décider où aller. Pourtant je ne vois rien. Le vent de face m’aveugle complètement. Entre rester là et mourir congelé dans les quelques minutes ou foncer à l’aveugle vers le bas en risquant de tomber d’une falaise, je choisis la solution qui nous offre le plus de chance s’en sortir. Après un dernier regard interrogateur auprès de Flo, je décide de foncer droit devant moi. Ce putain de vent m'empêche de voir quoique ce soit. Je mets alors un bras devant mon visage pour me protéger, et regarde mes pieds. J'essaye juste de faire un pas après l'autre en suivant la pente. La neige glacée est sculptée par le vent. Le terrain est accidenté. Je pourrai très bien courir droit dans un trou sans m’en rendre compte. Tant pis. Descendre. À l'aveugle, j'essaye de courir. Petit à petit on perd de l’altitude. Et comme espéré, le vent faiblit. Ça me redonne de l’espoir. Dans une tranchée ou le vent est légèrement moins fort, je me retourne pour m’assurer que tout le monde suit. Ok ? Je continue à descendre. Je m'enfonce dans la neige jusqu'aux genoux. C'est dur, mais l'instinct de survie est plus fort. Je m'arrête plusieurs fois pour attendre les autres. Antoine est loin derrière. Dorsan à côté de moi est sur le point de craquer. Il est au bord de l'hypothermie. Il veut juste continuer sans attendre, il ne peut pas s'arrêter. Mais il faut attendre les autres, sinon c’est le début de la fin. Il délire et claque des dents. J’ai peur qu’il craque et mette le groupe en danger. J’essaye de le résonner et le prend dans mes bras pour le réchauffer. Cette toute petite vague de chaleur suffit à rallumer son visage. Je vois son regard reprendre vie, il se réveille de son état second.

Aussitôt que les autres nous ont rejoint, je me relance en courant dans la pente. Tant pis pour les avalanches, le peu d'énergie qu'il me reste peut juste me permettre de perdre de l'altitude. Il y a une route en bas. Si on la rejoint, on est en sécurité. Après une descente interminable, la lumière de ma frontale se réfléchit dans un panneau. La route ! Le vent est de nouveau supportable, et on a gagné au moins 10 degrés. Tout le monde est là. C'est la première fois qu'on peut se poser un instant depuis l'avalanche. Ça y est, cette fois, on est sûr de sortir vivant de cette aventure. C'est la première fois que j'en suis persuadé. Une vague d'énergie me gagne, et je ressens la même chose chez tout le monde. Dorsan a retrouvé un peu de vie. Je suis déterminé. Je me mets en route et trace le chemin dans cette neige qui recouvre le macadam par plus d'1m. C'est dur, on s'enfonce fort. Mais je trouve un bon rythme et on avance. Je ne sais pas d'où vient mon énergie, moi qui étais à bout 30min plus tôt. Je marche, je marche en suivant les piquets de la route. On passe le tunnel. L'hospice n'est plus très loin. On passe à côté de plusieurs bâtiments qui sont ensevelis sous la neige. Je suis à bout. Tout à coup j’aperçois une lueur douce au loin. Comme une luciole dans la nuit, elle m'attire et m'apporte une dernière once de courage. Le refuge est là, à moins de 50m. Chaque pas me paraît interminable mais la lumière se rapproche. Ce bâtiment est notre sauveur. Les portes sont ouvertes et une douce chaleur nous accueille. Contraste immense. Entre le bruit assourdissant de la tempête et le calme apaisant. Entre le noir total et cette lumière douce. Entre la neige glaciale sur mon visage et cette chaleur réconfortante. Il est 2h du matin. Dans le hall d'entrée, on enlève la glace qui recouvre nos cils, sourcils, contour de capuche, buff, etc. Je lis dans les regards des autres qu'ils ont traversé la mort. On est vivant, on est en sécurité. C’est fou quand même. Une immense vague de fatigue me prend, et j'ai du mal à tenir sur mes jambes. J'enlève mes couches. Je me rends compte que lors de l'avalanche, la neige s'est incrustée dans le moindre creux de mon sac et entre mes différentes couches. En les enlevant une à une, je mets derrière moi le froid, la peur, la fatigue et les ténèbres. Je descends au vestiaire et je lis sur une plaque suspendue au-dessus de la porte "Heureux ceux qui ont persévéré". Je souris.

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Hospice du Grand Saint-Bernard

Nous avons trouvé refuge à l'hospice du grand Saint-Bernard. Occupée par des religieux depuis plus de 1000 ans, cette forteresse située à la frontière entre la Suisse et l'Italie garde toujours ses portes ouvertes à qui cherche refuge lors de sa traversée. Après une nuit calme et plombée d'un sommeil profond, j'émerge doucement. Étonnamment, les images de flocons qui tournoient autour de moi sur un fond obscur ne m'ont pas hantée. Probablement que mon corps avait juste besoin de récupérer et que mon esprit s'est déconnecté pour le laisser en paix. Je descends dans la salle à manger où les frères nous accueillent les bras grands ouverts. "Ah, voilà le 5eme miraculé". Cette phrase est comme un retour à la réalité. Elle me fait prendre conscience de la situation, et de tout ce qui vient de nous arriver. En fait, on a vraiment failli y passer. Bilan de la situation. On est parti hier matin à 10h. On a donc marché en raquette durant 16h, dont 9h dans la nuit. On a franchi 3 cols de plus de 2700m par temps de tempête. Avec un vent à en moyenne 80km/h et une température moyenne de -10°C. On a survécu à une avalanche. On a réussi à se battre mentalement et continuer malgré notre épuisement profond. Aucunes séquelles physiques graves. Perte de matériel minime (3 bâtons de ski et des lunettes de vue). Oui, on a eu de la chance. Mais je pense que la chance ça se provoque. Grâce à un esprit d’équipe vraiment fort, aucun de nous n’a craqué. Personne n'a lâché prise. On a chacun su exploiter un mode de survie qui nous a permis de continuer encore et encore, de se raccrocher à la vie. De garder espoir alors que c'est si facile de se laisser aller. Outre l'effort physique intense (le plus dur auquel j'ai été confronté jusqu'à présent), ça a été le combat mental le plus exigent de ma vie. C'est dans ce genre de situation qu'on se rend compte de la puissance de l'esprit. Dans une situation de survie, le corps a ses limites. Mais le mental a le pouvoir de repousser ses limites plus loin même qu'on ne peut se l'imaginer.

C’est vrai, on a commis des erreurs. Mais l'apprentissage qu'on en retire en est d'autant plus riche. On a appris plus tard que le troisième col qu'on a franchi est aussi surnommé le col d'été. Tout simplement car réputé très avalancheux en hiver. Il aurait donc fallu se renseigner auprès des locaux auparavant. De plus, l'itinéraire qu'on avait décidé d'emprunter est une sacrée course en été. C'était déjà un bon challenge en temps normal, sans compter l'impact de la neige. En raquette pourtant, chaque pas demande 2 voire 3 fois plus d'effort et de temps. Ce n’est vraiment pas à négliger. Ensuite, on s'est fait prendre par la tempête. Les conditions météos se sont dégradées bien plus vite que prévu. Le vent et la neige c'est froid, fatiguant et ça influence pas mal la visibilité. Demander l’avis d’un connaisseur (guide, local, gardien de refuge, etc.) est primordial avant de se lancer dans une telle course. Point positif : on était bien équipé niveau matériel. On avait de quoi se tenir au chaud, suffisamment de nourriture et des frontales chargées. Une géolocalisation qui fonctionne c'est tout bonus, ça permet de te sauver dans le noir. Plutôt pas mal. Cependant, plus jamais partir en montagne sans que tout le monde soit équipé d'ARVA (système de détection de victimes d'avalanche). On a eu de la chance de retrouver tout le monde cette fois ci, mais on a frôlé la catastrophe. Beaucoup d'erreurs, beaucoup d'apprentissages.

Le lendemain de notre expédition, tout commence à ressurgir. Tout tourne dans ma tête. Je revis tout ce qui s'est passé. Je prends conscience petit à petit de ce à côté de quoi on est passé. Et c'est dur. C'est lourd. En parler aide à digérer. Mais ce n'est pas suffisant. Je suis bouleversé. Écrire me fait du bien, je me déleste petit à petit de ce poids. Je mets ça derrière moi. Je ne retiens pas spécialement un mauvais souvenir de cette expérience. Parce qu'on oublie la souffrance. La douleur, le froid, la peur, la fatigue. Mais on retient la joie d'arriver vivant au refuge. La survie, le combat, le surpassement, l'amitié. Et ça, c'est beau. Cette aventure m'a fait grandir et je n'ai aucun regret. Et puis au final, c'était quand même chouette la montagne. 

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Postface

 J’écris ces lignes une vingtaine de jours après l’accident. Oui, on en parle aujourd’hui comme un accident. Un accident de vie. Comme un boulet de canon qui bouleverse notre rythme quotidien. Plus rien n’est pareil. J’ai un regard nouveau sur tout ce que je vis. Ça peut être vraiment positif certains jours. Tout me parait si beau, et je suis simplement émerveillé par ce qu’il y a autour de moi. Un rayon de soleil sur mon visage, une caresse, la douceur du chocolat. D’autres jours cependant, c’est un nuage sombre qui m’embrume l’esprit et qui affecte tout ce que je fais. Une remise en question constante et une perte de motivation. Mon esprit est ailleurs et mon quotidien me paraît fade. A quoi bon aller en cours si ça ne me fait pas du tout vibrer ? A quoi bon se forcer ? A quoi bon continuer de courir tout le temps ? Et c’est ça le plus dur, de devoir directement ressauter dans le train alors que j’ai tant besoin de prendre le temps pour moi. J’aimerai pouvoir dire pause. Digérer, accepter et retrouver ma motivation habituelle. Me souvenir de ce qui me fait plaisir et me motive pour la suite. Mais la vie n’attend pas. Les gens autour de moi continuent à avancer, et il faut suivre. Heureusement, je suis entouré de personnes qui m’aiment, qui m’aident.

Ça a été drôle de parler de tout ça avec des gens autour de moi. Au début, ils ne réalisent pas. Ils essayent d’être gentils et compréhensifs mais je ressens bien qu’ils sont distants. Certains nous disent qu’on est complètement inconscients et débiles de s’être mis bêtement en danger. Ils se disent sans doute que ça ne leur serait pas arrivé à eux, qu’ils n’auraient pas commis les mêmes erreurs. J’aimerai leur faire comprendre qu’il se trompent. Avec du recul, il est évident que certaines actions peuvent être jugées a posteriori comme des erreurs. Mais sur le moment, dans de telles conditions, c’était les meilleures décisions à prendre. Et n’importe qui aurait probablement fait la même chose. Une « erreur » en montagne arrive beaucoup plus vite que ce que l’on pense. Et ça coute d’ailleurs encore régulièrement la vie à des alpinistes légendaires. La seule vraie erreur est justement de penser qu’on est à l’abri d’en commettre une. Quoiqu’il arrive, ça ne sert à rien de juger une mauvaise aventure à posteriori.

Puis je leurs fais lire ce texte. Ils sont désemparés. Touchés. Et même apeurés pour certains. D’autres on les larmes aux yeux. Après avoir été plongés dans ce récit, leurs regards changent. Ils deviennent empathiques et c’est la première fois qu’ils comprennent vraiment ce qui nous est arrivé. Ils se rendent compte eux aussi, que la Montagne est toujours plus forte.

En relisant les lignes qui concluent mon récit, je me rends compte que ça sonne faux. Je me mentais à moi-même lorsque je pensais mettre cette histoire derrière moi en jetant tout sur papier. Je vois bien que j’avais envie de terminer ce texte au plus vite. Mais ce n’est pas si facile. C’est même après que c’est le plus dur. Revenir à la vie, comme si tout était normal. Il y a la peur aussi. Ma peur et celle de mes proches. Une peur qui remet en question les prochaines expéditions. Une peur qui me freine dans ma motivation de grimper et de repartir en montagne. J’ai compris qu’il ne faut pas l’étouffer. Il faut la confronter et la comprendre pour pouvoir s’en débarrasser. Prendre du temps pour soi. Réfléchir. Penser. Le temps a la faculté de guérir n’importe quelle blessure. Petit à petit, je me sens mieux. Plus fort que jamais, j’ai grandi. Je commence à pétiller de nouveau. Je retrouve ma motivation qui me caractérise si bien. J’ai des rêves d’escalade par millier et je n’ai qu’une envie c’est de déjà repartir. Je ressens au fond de moi cette petite flamme qui me rappelle ce que je suis plus que jamais : vivant. 

Pablo

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Plus d'infos et réflexions sur cet mésaventure sur https://capexpe.org/groups/ca-se-fait-daller-skier-en-novembre/


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